Le non - respect du « devoir conjugal » : encore une faute justifiant le divorce ?
En contractant mariage, les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance et obligation de communauté de vie.
Le divorce pour faute peut ainsi être demandé par l'un des époux, lorsque des faits constitutifs d'une violation grave ou renouvelée de ces devoirs et obligations, sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune (article 242 du Code civil).
En 2020, la Cour de cassation a rendu une décision étonnante (Cass. 1re civ., 17 sept. 2020, n° 20-10.564) : elle refuse de remettre en cause un arrêt d’appel prononçant un divorce pour violation du devoir conjugal, et confirme ainsi le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la femme qui avait refusé pendant plusieurs années des relations intimes avec son mari.
L'épouse porte l’affaire devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) : selon elle, en prononçant le divorce à ses torts exclusifs au motif qu’elle avait refusé d’avoir des relations sexuelles avec son mari, les juridictions françaises ont méconnu son droit au respect de la vie privée, et critique les motifs pour lesquels son divorce a été prononcé.
Dans son arrêt en date du 23 janvier 2025, n° 13805/21, H.W. c/ France, la CEDH considère que le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante pour non-respect du devoir conjugal emporte violation du droit au respect de la vie privée.
La Cour constate que le « devoir conjugal », tel qu’il est énoncé dans l’ordre juridique interne et qu’il a été réaffirmé dans la présente affaire, ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles.
« La Cour ne saurait admettre, comme le suggère le Gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures. Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible. Or, la Cour juge de longue date que l’idée qu’un mari ne puisse pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inacceptable et qu’elle est contraire non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines »
La CEDH en déduit que l’existence même d’une telle obligation matrimoniale est à la fois contraire à la liberté sexuelle, au droit de disposer de son corps et à l’obligation positive de prévention qui pèse sur les États contractants en matière de lutte contre les violences domestiques et sexuelles.
Elle estime que si le gouvernement fait valoir que l’incrimination des atteintes sexuelles commises au sein du couple suffit à assurer la protection de la liberté sexuelle de chacun, cet interdit pénal ne suffit pas à priver d’effet l’obligation civile introduite par la jurisprudence.
Elle observe que cette dernière s’inscrit à rebours des avancées opérées en matière pénale, ainsi que des engagements internationaux pris par la France pour lutter contre toute forme de violence domestique.
La CEDH en conclut que la réaffirmation du devoir conjugal et le prononcé du divorce aux torts exclusifs de la requérante ne reposaient pas sur des motifs pertinents et suffisants et que les juridictions internes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu.
En conséquence, la jurisprudence française ainsi que la législation évolueront peut-être afin d'assurer le respect effectif des droits fondamentaux.
La situation de chacun étant particulière, contactez le cabinet de Maître Gaëlle Thual, Avocat à Halluin (près de Lille) pour plus de renseignements !